Nous sommes invités pour le généathème de février à évoquer un document de nos archives personnelles ou rencontré au fil de nos recherches, qui nous tient à cœur. Mes archives personnelles "palpables" se limitent à quelques photocopies d'actes d'Etat civils reçus des mairies. Je vais donc prendre le terme "document" au sens large, car un objet me tient particulièrement à cœur, à la fois par la façon dont je l'ai connu, que pour l'objet en tant que tel. Même s'il n'est pas chez moi (vous comprendrez pourquoi), laissez-moi vous en conter l'histoire !
Des origines en Indre-et-Loire
Si le père et le grand-père de ma mère sont nés à Paris début XXème et fin XIXème siècle, mes recherches généalogiques me faisaient découvrir que son arrière-grand-mère, Pauline Bruère, était née en 1845 à Pocé, village d'un millier d'habitants en Indre-et-Loire. Pocé-sur-Cisse (son nom actuel) est situé à une trentaine de kilomètre à l'est de Tours, et compte désormais environ 1 600 habitants (source : Wikipedia).
A la naissance de Pauline, son père, Jacques, exerce la profession de mouleur en sable... Terme bien étrange pour moi qui pique ma curiosité. Le frère de Jacques, Silvain, est lui aussi mouleur en sable, et ils travaillent tous les deux à l'usine de Pocé. En 1864, Jacques sera fondeur à Chartres.
J'aime bien ces précisions dans les actes qui nous permettent de mieux connaître nos ancêtres, mais je n'avais encore rien vu...
La rencontre fortuite
J'habite Lyon, et ma cousine se mariait quelques semaines plus tard à Nantes. Je décidais de profiter de ce voyage, en avril dernier, pour faire une escale sur la terre de mes ancêtres. Je n'avais jamais fait de tel voyage généalogique, et je souhaitais m'imprégner d'un lieu où j'ai des racines et découvrir le village voire la maison de la famille Bruère.
Arrivés à Pocé-sur-Cisse, nous nous rendons, mon conjoint et moi, dans une rue portant le nom d'un des lieu-dit où la famille Bruère avait habité. Nous y trouvons quelques maisons qui pouvaient dater du début-milieu du XIXème siècle, mais l'un des lieu-dit semble ne pas avoir laissé de trace dans le village. Nous décidons alors de nous rendre à la mairie. Par chance, celle-ci est ouverte, et la responsable de l'Etat Civil nous accueille très gentiment. Je lui raconte mon histoire, mais elle ne connaît pas le lieu-dit que je cherche. Je lui explique aussi que Jacques et Silvain étaient mouleurs en sable à l'usine de Pocé, et lui demande si elle en sait plus. Elle me répond sans hésiter que l'usine de Pocé était une fonderie à l'immense renommée dans laquelle travaillait une grande partie des habitants du village au XIXème siècle. Elle me conseille alors de contacter la présidente de l'association pour la sauvegarde et la promotion des œuvres d'art de la Fonderie Jean-Jacques Ducel, Jeannine Gosset. C'est en allant me chercher ses coordonnées que la porte de la mairie s'ouvre et que rentre... ladite présidente !
A la découverte de Pocé-sur-Cisse, son église et son usine
Quelle chance ! J'en aurais rêvé, je n'aurais pu imaginer un tel hasard !
Je lui parle alors de Jacques et Silvain, et Jeannine nous propose spontanément de nous raconter l'histoire de l'usine de Pocé. Elle récupère la clé de l'église conservée à la mairie et nous la fait sitôt visiter. En effet, l'église abrite du mobilier, de nombreuses statues et autres objets en fonte fabriqués à l'usine. Jeannine a étudié l'histoire de la fonderie et de ses fondateurs et en a écrit un ouvrage très riche. Elle connaît donc toutes ces histoires par cœur, et nous en parle avec une passion intarrissable !
Nous apprenons que l'usine de Pocé était une fonderie d'art créée en 1823 dans les dépendances du château, et qui exportera ses créations originales dans le monde entier. Dans les années 1850, la fonderie produisait environ 800 tonnes de fonte par an et employait près de 400 personnes. L'usine fermera ses portes en 1878 et sera détruite. Seuls restent le château et le parc où elle se trouvait.
Le parc et le château de Pocé-sur-Cisse
L'usine était en contrebas du château, enjambant la rivière.
(source : photo personnelle prise dans le Parc du Château de Pocé-sur-Cisse, Indre-et-Loire)
Les mouleurs en sable étaient quant à eux les ouvriers qui préparaient les moules dans lesquels serait versée la fonte, en compactant du sable par couches successives autour d'un modèle.
Jeannine nous fait donc une visite guidée de l'église, et nous montre tout le mobilier en fonte (même l'autel !) offert par la fonderie.
La statue inattendue
Après toutes ces surprises, la cerise sur la gâteau arrive quand Jeannine nous montre la statue de Saint-Eloi, patron de la corporation des professionnels de l'orfèvre et plus largement des artisans travaillant les métaux.
Statue de Saint-Eloi, en fonte
(source : photo personnelle prise dans l'église Saint-Adrien de Pocé-sur-Cisse, Indre-et-Loire)
On peut lire sur le piedestal que la statue a été fondue à l'usine le 17 mars 1844 (soit un an avant la naissance de Pauline). Juste au-dessus, on voit qu'elle a été faite par Camus et Bruère !
Détail du piédestal
(source : idem)
De mon ancêtre direct ou son frère, je ne sais pas auquel des deux attribuer cette statue, mais cela n'a pas beaucoup d'importance : je suis très heureuse et très fière de voir le nom d'un de mes ancêtres sur un tel objet de valeur dans un lieu si improbable !
Je remercie encore chaleureusement Jeannine Gosset pour sa gentillesse, son engouement pour la Fonderie Ducel et la qualité de ses explications. Grâce à elle, j'ai pu découvrir, sans doute pour la première fois de manière aussi concrète, la vie de l'un de mes ancêtres !